ATTAQUE DE VASSIEUX

4ème partie

MERCREDI 26 JUILLET 1944

Le pansement de son genou est très voyant, beaucoup trop au goût de "CALVA". Profitant des multiples pauses nécessitées par son extrême faiblesse, après avoir refait ses pansements, celui-ci camoufle son genou pansé avec la jambe de pantalon qu'il a découpée et la fait tenir avec des épingles à nourrice. Comme la veille, exténué il s'allonge sous un sapin et s'endort.

Quand il se réveille, le soleil est déjà haut. Il réalise qu'il a dormi des heures. Il se sent bien reposé et repart en direction du Sud. Il s'oriente à l'aide des ombres portées sur le sol par le soleil jouant avec les arbres.

Son genou, bien qu'encore enflé, lui fait moins mal; cependant, la marche lui est encore pénible et il n'avance guère. A combien se trouve-t-il du COL-DU-ROUSSET ? Cette question l'obsède, car il a perdu la notion du temps écoulé. Bientôt, il devine au travers des branchages, qu'il arrive à une clairière. Il redouble de précautions, car il risque de tomber sur un lieu habité et il appréhende que ce soit par des Allemands. En bordure de la clairière, il découvre un filet d'eau qui coule dans des dalots en bois. Il s'approche de ces petites gouttières en bois comme un voleur qui craint d'être surpris. Il s'y désaltère. Cette eau merveilleuse qui coule dans sa gorge en feu et sur ses lèvres râpeuses, semble lui redonner la vie une seconde fois. Dans tous les cas, elle le plonge dans une béatitude extrême, et, prévoyant, après avoir étanché sa soif, il remplit une petite bouteille ayant contenue de l'alcool à 90° qu'il a conservé vide dans sa musette. Elle est toute petite et il regrette amèrement de ne pas avoir de gourde.

Il ne veut pas rester bien longtemps dans cette clairière car il a peur que son genou se refroidisse. En effet, son genou échauffé par la marche précédente, lui fait moins mal. Il reprend donc sa marche, toujours en direction du Sud.

Lorsqu'il approche de l'orée du bois et qu'il aperçoit des rochers, le soleil baisse à l'horizon. Où peut-il bien être ? Maintenant, devant lui il y a une étendue découverte. Il décide de prendre sur la gauche en suivant la lisière du bois, car il suppose que le col doit se trouver dans cette direction puisqu'il n'a pas traversé la route. Brusquement, le soleil lui renvoie un éclat lumineux. Qu'est-ce qui a pu briller comme cela ? Il se rapproche et remarque qu'il n'est plus très éloigné du col. Il a la satisfaction de constater qu'il a moins dévié que ce qu'il pensait. Il continue d'avancer sans trop prendre de précautions quand à nouveau, ses yeux sont attirés par la réflexion d'un éclat lumineux. Regardant intensément dans la direction d'où est venu ce reflet du soleil, il aperçoit des types qui vaquent à leurs occupations, sur le col géographique. Ce reflet du soleil ne provient-il pas de la glace d'un gars qui serait en train de se raser ? En se rapprochant prudemment, il lui semble reconnaître que ces hommes portent des casques. Heureusement qu'il n'avance pas trop vite. Cet histoire de casque le turlupine. En effet, on leur a bien proposé des casques au C11 et C12, mais ils n'ont jamais accepté de les porter. Alors, si ce ne sont pas des copains, ce ne peut être que des Boches ! Il a un moment de désespoir. Tous ses espoirs s'effondre d'un seul coup. Il essaye d'apprécier le nombre d'Allemands. Ils doivent être prés d'une dizaine.

D'instinct, "CALVA" fait machine arrière et à la faveur de la sécurité du bois, il s'arrête pour réfléchir à cette nouvelle situation. Il est dans l'obligation de chercher refuge dans le DIOIS. Mais les Boches étant au COL-DU-ROUSSET, par où passer ?

Le PAS-DE-CHABRINEL, il connait à peu prés le chemin car il y est allé en Juin avec "RAOUL"; mais c'est à perpette et dans l'état où il se il trouve, il n'y arrivera jamais. De plus, il risque fort de faire de mauvaises rencontres, surtout qu'il serait obligé de traverser de très grands espaces à découverts.

Le PAS-DE-L'ECHELETTE est bien plus prés, mais "PAYOT" les avait guidé de nuit et par un brouillard très épais. Il ne se rappelle pas très bien où ce PAS se trouve exactement. Soudain, il se souvient d'une remarque que "PAYOT" leur avait faite après son malaise dans la montée vers le plateau, à la suite de l'attaque des Miliciens en avril; il leur avait expliqué que ce malaise était la conséquence d'une mauvaise chute qu'il avait faite en descendant les rochers de CHIRONNE. Ce sont des cheminées peu éloignées du lieu où il se trouve. "CALVA" est certain de pouvoir les retrouver. Les approcher en ligne directe, il n'en est pas question, car il faudrait qu'il s'aventure dans un espace entièrement découvert. Il décide alors de contourner cet espace dangereux pour sa sécurité et revient sur ses pas, retombe sur son petit ruisseau et s'éloigne du COL. Comme la tentative de descente ne peut être exécutée que le matin de très bonne heure, il décide qu'il effectuera cette manœuvre le lendemain et il se retire sous un sapin pour y passer la nuit; mais auparavant, il attache un petit morceau de tissu à une branche afin de lui indiquer la direction qu'il devra prendre le lendemain.

Pendant les pérégrinations de "CALVA", que deviennent les blessés regroupés et emmenés par les TRIAL ? Ils arrivent enfin à HOSTUN. Ils y retrouvent "DOMINIQUE", le chef du C18 qui les avait quitté peu après leur départ de la grotte de la LUIRE. Pris en compassion, ils sont aidés par de braves gens dont monsieur VITTE qui les restaurent et les guident en direction de l'Isère pour passer le fleuve, ce qui n'est pas facile à cause des barrages ennemis très rapprochés.

A ce moment, les avions Alliés se décident à bombarder l'aérodrome de CHABEUIL, ce qui provoque un regroupement de plusieurs factionnaires Allemands, créant un espacement plus large entre sentinelles ennemies, cela permet à nos blessés d'en profiter pour franchir la route. Mais le gros obstacle est le fleuve. En fait, on ne saura jamais pourquoi les Boches se ont retirés du pont traversant l'Isère à EYMEUX. Mais c'est ce que constate un patriote qui s'est risqué à voir si la voie serait libre. Cela permet le franchissement du pont sans difficultés particulières aux blessés rescapés de la GROTTE-DE-LA-LUIRE. De l'autre côté, ils sont pris en charge par monsieur Fernand HEBERT. Il les héberge, leur fournit vivre et couvert et leur donne des habits civils. Habillés ainsi, le lendemain, ce brave homme les emmène à LA BAUDRIERE par un itinéraire non gardé. De ce lieu, ils peuvent rejoindre soit ROMANS, soit GRENOBLE.

Du côté de PONT-EN-ROYANS, le pays est particulièrement bien surveillé par les Allemands car cette ville est la porte principale de deux importantes sorties du VERCORS : Les GOULETS et les Gorges de LA BOURNE qu'ils ont eu beaucoup de mal à occuper.

Dans les GOULETS, à COTE-BELLE prés d'ECHEVIS, une centaine d'hommes de BOUSQUET, acculés dans un cul de sac, ont la chance d'éviter le combat qui, à coup sûr, ne leur aurait pas été favorable.

D'un autre côté, une quarantaine de chasseurs du 12ème BCA, ayant reçu de "ABEL" (Capitaine GROUAU) l'ordre de repli, quittent les environs de PRESLES pour rejoindre le ROMANAIS. Arrivant à PONT-EN-ROYANS, ils sont prévenus à temps que les Allemands occupent la ville. Ils ont avec eux leurs armes, mais il ont décidé d'éviter l'accrochage et ils se dirigent vers l'entrée des PETITS-GOULETS. Ils n'ont pas de chance car ils s'aperçoivent de loin que ceux-ci sont aussi gardés par les troupes ennemies. Malgré tout, ils continuent d'avancer car ils n'ont plus aucune autre possibilité de passer. Le temps d'approcher de l'endroit où ils avaient prévu de passer, les Fritz quittent les lieux pour se replier sur SAINTE-EULALIE. Après avoir traversé la rivière LA VERNAISON et la route des GOULETS, toujours en passant par la montagne, ils marchent en file indienne, espacés largement, lorsqu'entre SAINT-LAURENT et SAINT-JEAN-EN-ROYANS, des Allemands attaquent leur arrière garde. La troupe ennemie est, sans doute possible, venue par SAINT-THOMAS-EN-ROYANS. Surpris, plusieurs chasseurs sont capturés tandis que quatre d'entre eux réussissent à s'échapper. Pas pour longtemps, car deux de ces derniers seront repris plus tard en essayant de traverser l'Isère à la nage. Ils seront déportés avec d'autres patriotes arrêtés ailleurs. Vers le soir, les rescapés s'arrêtent au-dessus d'ORIOL-EN-ROYANS, d'où ils peuvent assister au bombardement de l'aéroport de CHABEUIL par les Alliés. C'est un véritable feu d'artifice !

Les Allemands ont emmené à SAINT-NAZAIRE-EN-ROYANS, les Chasseurs du 12ème BCA fait prisonniers et les embarquent dans un camion avec d'autres patriotes arrêtés dans les environs. Parmi eux, il y a plusieurs gendarmes. Le camion prend la direction de GRENOBLE. Au village BEAUVOIR-EN-ROYANS, ils sont arrêtés par un barrage tenu par des Miliciens qui participent au bouclage du VERCORS. Comment ceux-ci ont -ils persuadé les Allemands de leur remettre les 23 prisonniers ? Nul ne le saura jamais ! Mais le fait est là, les Miliciens se saisissent des prisonniers et froidement les abattent prés d'un ruisseau, non loin de la route. Parmi les vingt-trois captifs, il y avait six valeureux chasseurs du 12ème BCA.

Un peu partout, les Allemands se livrent à des exécutions sommaires, dont six à SAINT-AGNAN-EN-ROYANS, neuf à REVOLLEYRE prés de SAINT-BARTHELEMY-DU-GUA où le 23 juillet 1944, ils avaient déjà fusillé les cinq compagnons de "VOLUME".

"FAISCEAU" (ZELLER) qui est l'invité de "ARCHIDUC", reçoit de "SAINT-SAUVEUR" (Colonel CONSTANS) le message suivant :

"Reçu de LONDRES, message BAVAROIS d'"HERVIEUX". Comprenons parfaitement votre tristesse et votre sensation d'isolement. Sachez que les avions prévus pour vous dropper hommes et armes lourdes étaient prêts depuis six jours. Ce matériel et hommes seront droppés sur Drôme et Hautes-Alpes. Considérez troupes VERCORS, malgré dispersion imposée, peuvent avoir excellent rendement et revanche par action guérilla.
Amitié.
"SAINT-SAUVEUR""

"FAISCEAU" fait part à "ARCHIDUC" des observations qu'il a faites au cours de ses liaisons dans la Drôme, les Hautes et Basses-Alpes et le Vaucluse à savoir :

Que les Allemands sont pratiquement prisonniers dans leurs garnisons et ne sortent de celles-ci qu'en force.

Que dans l'intérieur de ces départements, aucun train ne circule et que beaucoup de soldats Allemands, démoralisés par les "Terroristes" qu'ils redoutent, attendent l'arrivée des Américains pour se rendre, ce qui conforte son opinion qu'une percée de blindés Alliés par la route des Alpes, a toutes les chances d'être un énorme succès; ce qui permettrait de piéger beaucoup d'Allemands dans la vallée du Rhône, si le débarquement tant attendu dans le midi, venait à se produire.

JEUDI 27 JUILLET 1944

II fait à peine jour lorsque "CALVA" se remet en route , repère sa direction et avance vers les à-pics surplombant le DIOIS. Son idée est de remonter en direction du COL pour trouver une cheminée et s'en approcher en profitant de la brume matinale. Avec le jour et le fait que son genou commence à beaucoup moins le gêner, l'espoir est revenu. Après bien des tours et contours, après bien des manœuvres sur le terrain pour profiter au maximum du relief, il découvre enfin l'entrée d'une cheminée. Par précaution, il prend la peine d'envelopper ses souliers à l'aide de pansements afin d'éviter de glisser, puis il commence la descente. Après plusieurs heures d'efforts laborieux, il ne rencontre, hélas que le vide complet. La roche est lisse, en surplomb et le vide est impressionnant. Il ne lui reste plus qu'une solution : Remonter sans perdre de temps car le jour est bientôt là et il convient d'essayer autre chose. Ce qu'il craint le plus, c'est de sortir en plein découvert; de plus, il ignore à quelle distance il sera du COL. Finalement, il trouve un petit passage qui lui permet de sortir dans de maigres buissons. De là où il est sorti, il voit parfaitement les Allemands debout sur le COL géographique qui scrutent les alentours avec des jumelles. Pourvu qu'ils ne l'aient pas aperçu ?!!

Pendant quelques temps, ses recherches demeurent infructueuses. Puis, enfin il découvre une nouvelle entrée de cheminée et s'y engage résolument. Il descend à nouveau très lentement, cherchant ses prises en les assurant. Il passe des étranglements, dont l'un est si étroit, qu'il a d'immenses difficultés pour le franchir après avoir passé tout son barda. Aidé par la corde de parachute qu'il a conservée dans son sac de montagne, il a réussi à passer tout son matériel en plusieurs fois. Quant à lui, ce n'est pas l'embonpoint qui le gêne !!

Plus bas, les parois de la cheminée s'écartent tellement qu'il arrive difficilement à caler son sac et le reste de son équipement. Il doit effectuer des mouvements acrobatiques pour s'appuyer sur les deux parois de la cheminée. Il y a des heures qu'il se débat dans celle-ci, de longues heures qu'il bataille contre les parois de calcaire qui tournent. A un moment de cette lutte, il aperçoit en-dessous, dans un lointain assez proche, sur la route de CHAMALOC allant au COL-DU-ROUSSET, au milieu d'un virage en épingle à cheveux, un factionnaire Boche qui lui tourne le dos, contemplant le DIOIS.

Un nouveau passage étroit oblige "CALVA" d'effectuer une nouvelle fois l'opération qui consiste à passer en plusieurs fois le contenu de son sac qui a un volume beaucoup trop important pour passer cet étranglement. C'est à ce moment qu'il perd son SMITH & WESSON et une grenade goupillée. Tombant en rebondissant, ce matériel provoque une mini-avalanche de pierres dans la descente. Plaqué contre la paroi, "CALVA" fait le mort. Entendant le bruit de cet éboulement, le garde Allemand se tourne, lève la tête et scrute la falaise dans sa direction. Heureusement, il n'a pas de jumelles ! II regarde longuement et tarde à reprendre sa position initiale. Il doit supposer que ce sont des pierres qui se détachent d'elles-mêmes de la paroi, car il finit par se retourner vers le DIOIS. "CALVA" se dit que, dans la position où il se trouve et à cette distance, il pourrait l'avoir à tous les coups au fusil; mais.......après ??

Patiemment, il poursuit sa descente mètre par mètre. D'autres pierres se détachent et tombent. Le Boche ne lève même pas la tête. Enfin, "CALVA" arrive au bas de la cheminée, après des heures et des heures de lutte et d'efforts. Encore une fois, l'aboutissement de cette dure descente est le vide sous lui, lui interdisant de continuer dans cette direction. Il ne voit plus, ni le tournant en épingle à cheveux, ni la sentinelle ennemie. Il est en surplomb et n'aperçoit pas le fond de l'à-pic.

Il a un moment de découragement. Afin de soulager ses membres endoloris, il coince son sac, sa musette et son fusil dans des failles à portée de ses mains. Il se force à réfléchir et à examiner la situation telle qu'elle se présente. Il ne voit aucune descente possible en direct. Il distingue bien un gros arbre en dessous, mais il est hors de portée. D'autre part, il se dit qu'il ne faut pas espérer remonter, car il s'est donné beaucoup trop de mal pour franchir tous ces passages. Explorant du regard la paroi, il constate que, latéralement, en-dessous de lui, il existe une petite plateforme presque horizontale, une sorte de petite terrasse tellement étroite que, même sans matériel, il ne pourrait pas se retourner pour essayer de sauter dans l'arbre. Malgré tout, il essaie de l'atteindre, abandonnant provisoirement son matériel, Il cherche ses prises et finalement, il parvient à poser le pied sur l'étroite corniche. Cherchant du regard "son" arbre, il tourne la tête et se rend compte que la petite terrasse où il a posé ses pieds se trouve beaucoup trop éloignée de l'arbre convoité qui, lui, est placé bien plus à gauche.

Ne se décourageant pas, il se déplace à nouveau latéralement avec facilité ma foi, repérant soigneusement ses prises. Il réussit à atteindre une seconde saillie naturelle bien plus large; et, intérêt supplémentaire, juste en face de l'arbre qu'il avait aperçu au départ. Le saut à exécuter est impressionnant pour atteindre l'arbre, mais cela ne lui paraît pas impossible de sauter dedans afin d'amortir sa chute. Il ne doit pas manquer son coup et il s'assied pour se reposer et réfléchir un moment. Par la pensée, il calcule le bond qu'il devra effectuer. Il pense même qu'en s'arc-boutant à la paroi, il devrait accroître considérablement son élan.

Assis sur la plate-forme, il a du mal à se faire à l'idée d'abandonner son matériel qu'il a transporté jusque là. Il fait parti intégrante de lui-même maintenant et le fait d'avoir perdu son SMITH & WESSON et sa grenade l'ennuie déjà suffisamment. Il réfléchit et pense être capable de sauter avec l'ensemble de son équipement. Il pèse le pour et le contre et songe à s'organiser sérieusement. En premier lieu, il faut transporter tout son barda sur la grande plate-forme. En quatre voyages et une heure de temps, agrippé à la paroi, c'est la réussite. Après avoir traversé latéralement autant de fois, il remarque qu'il connaît presque par cœur les prises pour les mains et le repos des pieds.

Il vide complètement sac et musette. Ses deux gammons sont les armes les plus redoutables lorsqu'il sautera, car il n'est pas question pour lui de les laisser. Il prend d'infinies précautions pour préparer ce saut. C'est ainsi qu'il place ses gammons dans chacune des deux jambes de son pantalon de rechange qu'il roule par la suite dans la couverture et place le tout au fond de son sac en le calant bien. Il enroule ses cartouchières, écarte complètement les extrémités des goupilles de ses grenades qu'il glisse dans les plis de la couverture. Il bourre le sac avec tout le contenu de la musette. Avec une bande, il ferme à bloc le haut du sac, place au-dessus et en travers le fusil dont il a pris la précaution de retirer le chargeur. Avec la corde de parachute, il ficèle soigneusement le sac sur son dos en prenant des dispositions pour avoir suffisamment de corde pour attacher la musette devant, à plat sur son ventre. Il pense que s'il a la chance de tomber dans l'arbre, le fusil devrait freiner sa chute.

Il songe à protéger sa tête. Il se l'enroule avec une bande "Velpeau". Malgré la situation difficile où il se trouve, le ridicule de cette précaution le fait rigoler en pensant qu'il doit ressembler à une momie. Mais il n'a cure de son esthétique, ce qu'il faut avant tout c'est qu'il arrive en entier et sans nouvelles blessures graves en bas. Quand il a fini de se préparer, qu'il a terminé de "saucissonner" sac et musette sur son corps, il a du mal à respirer et à remuer. Mais, maintenant, à Dieu-va !! Il s'arc-boute fortement à la paroi et saute en boule dans le vide.

Sonné , il est sonné, mais bien vivant et suspendu par le dos à son arbre, il se tâte. Apparemment, il n'a rien de cassé. Il n'a que des hématomes un peu partout. Ce n'est pas une mince affaire que de se dépêtrer de tout ce fourbi. Le visage dégagé, il peut enfin respirer l'air pur de la liberté du DIOIS. Avec la cordelette du parachute, il descend son sac, puis se fait glisser jusqu'au sol. Le voilà enfin dans une région moins dangereuse et plus hospitalière.

La pente a une très forte déclivité. "CALVA" est obligé de descendre en escalier, s'accrochant aux arbustes rabougris qu'il rencontre dans la descente. Il dégringole par petites étapes, en tirant son sac. Au pied d'un arbre, il libère son fusil qui était resté lié sur le dessus de son sac et il remboite le chargeur. La pente est si forte qu'il se rend difficilement compte de sa longueur car sa dégringolade est rapide. Il finit par aboutir sur un petit sentier. Il s'y arrête pour faire l'inventaire des dégâts et réfléchir sur la suite à venir.

Physiquement, il est épuisé, se sent faible et la tête lui tourne. Il ressent une douleur au niveau des côtes droites. Il a dû recevoir un coup de ce côté. Du point de vue vestimentaire, le blouson de cuir a assez bien supporté le choc. Par contre, le pantalon est déchiré à plusieurs endroits.

Maintenant qu'il se trouve dans le DIOIS, il doit refaire l'opération inverse de ce qu'il a entrepris pour effectuer la descente dans la cheminée. Il vide à nouveau son sac sur le sol et étale le tout sur le chemin pour vérifier l'état des munitions .

Les gammons sont intacts. Ils les remet à leur place dans les poches du sac, bien que ces dernières soient toutes effilochées, il juge qu'elles sont encore assez robustes. Toute la pharmacie regagne sa place dans la musette, les cartouchières reviennent en sautoir, le ceinturon et le colt à leur place, les quatre grenades dans les poches et le pantalon qui était dans le sac, sur les fesses. Il examine de prés l'état de son fusil. Il n'a pas l'air d'avoir souffert du coup qu'il a dû recevoir à l'atterrissage dans l'arbre.

Après réflexion, il ne jette pas le pantalon qui est en lambeaux. Il le conserve et le fourre dans le sac, il servira pour prélever des morceaux de tissu afin de rapiécer le genou de celui qu'il porte actuellement. Bien entendu, ce travail se fera lorsque cela sera possible. Puis, il s'occupe de mettre ses armes en état de fonctionner immédiatement. Il réapprovisionne donc le magasin de son fusil. Ainsi prêt, il descend le sentier, sac au dos, surmonté par sa musette, et fusil à la main. Le sentier débouche sur un gros ruisseau. Il en profite pour se reposer. Durant la pause, il refait ses pansements. Puis, plus rien, le néant....., il se réveille à plat

ventre, le nez trempant dans l'eau du ruisseau. Est-ce le fait de ne pouvoir respirer qui l'a réveillé ? Il n'en sait à vrai dire rien ! Il réalise simplement qu'il a dû tomber à nouveau "dans les pommes". Est-ce la faim ? les effets secondaires de ses blessures ? De toute façon, il réalise l'immense danger qu'il a couru. En effet, il aurait pu être surpris par une patrouille ennemie sans même s'en rendre compte. Il en a des sueurs froides rétrospectivement et il se promet d'être beaucoup plus vigilant à l'avenir. Ce serait trop bête de se faire piquer maintenant, après tout ce qu'il vient d'endurer.

Progressant avec précaution, il arrive en vue d'une maison isolée, écartée suffisamment d'un village. Normalement ce dernier devrait être CHAMALOC.

A environ deux à trois cent mètres de l'habitation, il se débarrasse de son sac et le cache dans un buisson, renouvelant en cela un réflexe, ou une habitude. Puis il se rapproche du Paradis tant espéré en s'assurant d'abord qu'il n'y a pas d'indésirables dans le secteur.

Arrivé à une trentaine de mètres de la maison, il repère une espèce de mare qui semble être peu profonde car deux bambins, un garçon et une fillette y barbotent et font trempette. Il est convaincu que s'il y avait des Boches dans les parages, les parents de ces enfants ne les auraient pas laissé patauger tout nu au soleil. Tel un pantin sortant de sa boite, "CALVA" jaillit des buis. Les enfants effrayés s'enfuient à toute vitesse vers la maison. Une femme de trente à quarante ans parait sur le seuil de la porte pour se rendre compte de ce qui se passe. "CALVA", maigre, et sale ne doit pas être très rassurant à voir. Il lui explique qu'il s'est sorti du guêpier du VERCORS, qu'il est blessé et affamé; mais que pour lui, le plus important est de savoir où se trouvent les Boches : Y en a-t-il à CHAMALOC ? De quel côté se sont-ils installés ? Font-ils des patrouilles dans le coin ?

Elle lui indique que les Allemands se sont installés en "bouchon" à la sortie Nord de CHAMALOC, sur la route montant au COL-DU-ROUSSET et elle poursuit :

"Ces temps derniers, il est passé beaucoup de monde et nous n'avons pratiquement plus rien à manger, mais enfin je vais voir si je peux trouver quelque chose !"

Quelques instants plus tard, elle revient avec une assiette contenant quelques pommes de terre et des rutabagas, deux œufs, un morceau de pain et un verre rempli d'un quart de vin allongé de flotte.

Heureux d'être aidé malgré les multiples difficultés du moment que doit rencontrer cette famille, "CALVA" remercie chaudement sa bienfaitrice et se replie à l'abri des buis pour dévorer la nourriture qu'il vient de recevoir.

Exténué par les efforts qu'il a dû fournir, ayant l'estomac en fête, il a dû s'assoupir. Un moment après, la maitresse de maison vient le secouer dans les buis pour le réveiller, car il ronfle comme un sonneur et elle craint que les Allemands, patrouillant, viennent à le découvrir.

Ne buvant jamais de vin, affaibli par le jeûne, le peu d'alcool contenu dans le verre de vin lui a joué un mauvais tour et il s'est endormi complètement ivre. Il prie la jeune femme de bien vouloir l'excuser et lui indique la position où il a laissé son sac. C'est à cet endroit qu'il va aller se reposer pour récupérer ses forces. L'endroit est facilement repérable car il y a un arbre un peu plus haut sur la colline, au pied duquel se trouve son harnachement. Avant de retourner sur la colline, il lui fait part de son désire de trouver des Résistants ou des personnes susceptibles de lui venir en aide.

Dans la soirée, cette brave femme vient le retrouver. Il dort encore et toujours. Elle lui confirme :

"C'est pour ce soir ! il y a des gars qui vont venir vous chercher !"

Tard dans la nuit, des jeunes arrivent suivis par leur père et la brave dame. "CALVA", de joie, leur saute au cou et les embrasse. Il se sent sauvé ! Les robustes jeunes gens expliquent qu'ils ont été retardés par le fait qu'ils ont été obligés d'attendre que les Boches se retirent à la sortie du village, sur la route en direction du COL-DU-ROUSSET, comme ils l'ont fait les jours précédents et dans la nécessité dans laquelle ils se trouvaient d'effectuer de nombreux détours pour éviter de faire aboyer les chiens.

Par le chemin qu'ils ont emprunté à l'aller, ils repartent à la queue-leu-leu. L'un des garçons porte le sac, le père prend le fusil et une cartouchière et "CALVA" ferme la marche, le colt à la main. Ses nouveaux compagnons l'emmènent chez eux. C'est une maison en plein centre du village. Ils montent tous au premier étage où un solide casse-croûte les attend. Le père lui a prêté un pantalon pendant que la mère lui répare le sien. Tout en mangeant, "CALVA" raconte ses aventures. Il pense à part lui, qu'il a eu une riche idée de conserver les restes de son autre pantalon, car c'est avec une partie du tissu qu'elle découpe dans ce dernier que la mère lui met une pièce au genou droit déchiré de son pantalon usuel afin d'éviter que ne s'aggrave la déchirure.

Réunis dans le séjour, tous parlent à voix basse comme des conspirateurs. Le père craint que le Allemands ne fassent une rafle la nuit. Craignant pour sa famille, il décide qu'ils iront tous coucher à la campagne dans un lieu qu'il estime plus sûr et plus tranquille. "CALVA" ne peut que l'approuver et entérine favorablement une telle initiative.

Commence alors une marche interminable et pénible à travers bois, ravins et fossés; puis le passage du chemin sous un petit pont. Ils arrivent à un petit cabanon où ils passent la nuit dans la paille.

Durant sa descente des rochers de CHIRONNE, en ce matin du 27 Juillet 1944, "CALVA" a bien entendu une fusillade importante et une grosse explosion dans la région du DIOIS, sans pour cela pouvoir en situer l'origine.

Si le VERCORS est pratiquement entièrement investi par les unités Allemandes, il n'en est rien du DIOIS où les troupes du Commandant "LEGRAND" (DE LASSUS) occupent ou réoccupent tout un secteur adossé au VERCORS compris entre CREST et DIE. Elles sont une menace constante et permanente sur la route qui relie les deux villes. En effet, "LEGRAND" a donné l'ordre à ses unités de déclencher la guérilla pour semer la panique dans les rangs adverses; guérilla meurtrière faites d'embuscades avec déclanchement du feu à très courte distance et repli immédiat et rapide pour éviter que l'ennemi ait le temps d'utiliser des armes lourdes comme l'artillerie, les mortiers et éventuellement l'aviation. En un mot, il faut mener une guerre acharnée aux convois de la Wehrmacht.

Le 23 Juillet, à partir de MARIGNAC et par le COL-DE-VASSIEUX, l'Etat-major ennemi a réussi à ravitailler ses troupes aéroportées de VASSIEUX. Il n'ignore pas que la région de SAINT-JULIEN-EN-QUINT jusqu'à la route de CREST à CHABEUIL est un sanctuaire de Résistance qui communique avec le Sud-ouest du VERCORS et auquel il n'a pas accès.

Le Lieutenant "FREYSSINAT" (Michel PEROTIN) qui commande un peloton de l'Escadron du Capitaine "ROLAND" (Bernard CHASTENET de GERY), s'est replié à LA-TETE-DE-LA-DAME (1506 mètres) au Sud-est d' OMBLEZE. De ce lieu, il assure les liaisons entre "THIVOLLET", "HERVIEUX" et "LEGRAND", dont le P.C. est à l'ESCOULIN. Depuis longtemps, les Nazis voudraient bien mettre la main sur "LEGRAND" et ils enragent de ne pouvoir y parvenir.

Ce 27 Juillet 1944, partis de SAINTE-CROIX, les Allemands attaquent la compagnie "PERRIN" qui défend le tunnel des TOURETTES. Ce tunnel est la porte d'entrée de SAINT-ANDEOL qui, plus loin, donne accès à SAINT-JULIEN-EN-QUINT où se sont réfugiés de nombreux habitants rescapés de VASSIEUX. Pour interdire tout passage aux troupes Allemandes, "FREYSSINAT" ordonne la destruction du pont d'accès. Un Légionnaire déserteur de l'Armée Allemande et passé à la Résistance, se fait tuer sur place à sa mitrailleuse en défendant cette position. Dans l'impossibilité de progresser dans cet axe, les Boches essaient de contourner l'obstacle en passant par VACHERE-EN-QUINT; mais là aussi, ils échouent.

Au même moment, l'ennemi essaie de s'infiltrer vers COBONNE en partant d'AOUSTE-SUR-SYE. Prévenu à temps de cette tentative d'infiltration, "BEN" (Capitaine BENTRUP) commandant la 6ème compagnie du 2ème Bataillon, s'installe en bouchon prés de GIGORS et donne l'ordre de n'ouvrir le feu qu'à bout portant. En troupe aguerrie, les Allemands ripostent aussitôt au mortier et la 6ème compagnie a des blessés que "BEN" est obligé de faire évacuer sur C0MBOVIN. Ils sont soignés par "SANGLIER" (Capitaine-Médecin PLANAS).

Là aussi, stoppés dans leur progression, les Allemands envoient de BLACON en direction de BEAUFORT-SUR-GERVANNE, une très forte colonne comprenant des automitrailleuses, des pièces d'artillerie et de l'infanterie portée. Leur but est d'attaquer GIGORS par le Sud-est.

Arrivée au carrefour des routes BEAUFORT-SUR-GERVANNE et VAUGELAS, la colonne ennemie butte contre la défense assurée par le Lieutenant "BLANCHARD" (Cie ROGER). Mais les moyens en présence sont disproportionnés et en défaveur des Français et les hommes de "BLANCHARD" sont obligés de se replier sous un déluge d'obus de 88, de mortiers et sous un feu d'enfer de balles explosives. La section se dirige alors vers le plateau de VERONNE.

"BEN" apprenant qu'une autre colonne ennemie attaque par SUZE et sachant qu'il n'a pas les moyens matériels de les arrêter, se contente de faire retarder leur progression par le Capitaine "CHAPOUTAT" qui harcèle l'ennemi tout en se repliant. "BEN" veut éviter l'encerclement et replie ses unités en combattant.

A BEAUFORT-SUR-GERVANNE, village perché sur une hauteur, des éléments de la 7ème et 9ème Compagnie défendent courageusement le bourg. Cependant, là aussi comme ailleurs, avec son artillerie et ses mortiers, l'ennemi est le plus fort. Dans un mouvement d'encerclement en tenaille, il déborde les positions, obligeant les nôtres à se replier en combattant en direction de PLAN DE-BAIX où les combats se poursuivent pour ne s'arrêter qu'à la nuit.

La nuit est illuminée par les maisons incendiées à BEAUFORT-SUR-GERVANNE et dans toute la région où les Boches ont réussi à passer. Puis ils se retirent sur leur bases de départ pour y passer la nuit, le secteur des combats n'étant pas sûr pour eux.

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